L’élasticité de la demande : anticiper les bénéfices économiques d’une stratégie d’innovation

Elasticité Demande Prix

Comment anticiper les revenus générés par l’introduction d’une innovation ? En quoi l’élasticité de la demande est-elle un indice stratégique pour les entreprises innovantes ? Étude de cas sur un panneau de commande industriel avec Florian Loeser, chef de projet expérience utilisateur chez Ixiade.

Pouvez-vous me dire quelques mots sur le contexte du projet ?

Notre client, un leader dans la conception de solutions électriques, souhaitait améliorer l’ergonomie d’un produit existant. Il s’agissait d’un panneau de commande principalement destiné à un usage professionnel en industrie. Le fait d’améliorer certaines caractéristiques de l’offre comme la matière, la méthode de montage, la taille, et d’autres, se traduisait nécessairement par une augmentation des coûts de production. La demande formulée par notre client était la suivante : « si j’augmentais le prix de mon produit, quelles seraient les conséquences sur mes revenus ? ». À partir de cette demande, l’objet de notre étude était donc de mesurer dans quelle mesure l’augmentation de prix impacterait les revenus générés par la vente du nouveau modèle. En d’autres mots, il s’agissait d’évaluer ce que l’on appelle en économie « l’élasticité de la demande ».

L’élasticité de la demande ?

Pour faire simple, disons que cela correspond au rapport relatif entre la variation d’un prix et la variation de la demande associée à un produit donné. Dans la grande majorité des cas, ce rapport est négatif car les produits suivent la loi du marché, c’est-à-dire que la demande baisse à mesure que le prix augmente. Or, on observe parfois des phénomènes inverses pour les produits de première nécessité tels que l’eau (la demande reste stable même en cas d’augmentation soudaine) ou pour les produits identitaires tels que les produits de luxe (la demande s’amplifie à mesure que le prix augmente). On parle alors dans ce dernier cas d’élasticité nulle ou positive.

Quelle méthode avez-vous employé pour cette étude ?

D’abord, il faut mentionner le fait que nous sommes allés bien au-delà des méthodes de pricing utilisées traditionnellement pour positionner le prix d’une offre, et ce parce que la demande de notre client était plus complexe que ça. En effet, il s’agit habituellement de demander à des clients potentiels « en-dessous de quel prix considéreriez-vous le produit comme étant de mauvaise qualité ? », ou encore : « à partir de quel prix estimeriez-vous que le produit coûte trop cher ? ». Certes, par un croisement astucieux, cette méthode de « positionnement psychologique » du prix produit des résultats intéressants. Cependant, la limite réside dans le fait qu’elle exclut une dimension essentielle : le rôle des processus automatiques et implicites dans les évaluations conduisant aux décisions d’achat. C’est pourquoi nous avons calculé l’élasticité de la demande sur la base d’une collecte de type « analyse conjointe basée sur le choix ».

Concrètement, comment se déroule une telle étude ?

Dans le cadre de cette étude, nous avons interrogé 1600 acheteurs potentiels issus de différents secteurs d’activité industriels dans le monde entier. Il s’agit en fait de placer les personnes dans des situations de compromis où ils doivent réaliser des choix intuitifs. Plus précisément, chaque participant devait réaliser 20 essais où pour chaque essai, deux modèles de panneau de commande étaient présentés en image. Chaque panneau de commande possédait ses propres caractéristiques techniques ou esthétiques ainsi qu’un prix associé. En passant les choix de chaque répondant au crible d’un algorithme spécifique, nous avons été en mesure de quantifier l’importance des différents attributs (prix, taille, type de montage, type de matériel, design, etc.) et de quantifier les préférences associées à chaque déclinaison d’attributs (métal ou plastique pour le type de matériel par exemple).

Quels ont été les résultats ?

Premièrement, l’analyse nous a permis d’identifier les préférences et de les spécifier en fonction du segment (pays ou métier). En ce sens, l’étude aura certainement des conséquences sur les choix de conception futurs de ces panneaux de commande. Deuxièmement, concernant la demande initiale, nous avons obtenu un « pattern » surprenant mais tout à fait sensé : l’élasticité de la demande ne suit pas une courbe linéaire mais plutôt une sinusoïde. Par exemple, si on augmente le prix de la nouvelle offre de 5%, de 10%, de 15%, de 30% ou même de 40% par rapport à l’offre existante, il s’avère que les revenus totaux auraient tendance à diminuer, suivant ainsi la loi du marché. Cependant, en appliquant une augmentation de précisément 20%, les revenus totaux augmenteraient. Ce résultat, outre le fait d’être stratégique pour notre client, met en évidence le fait que les décisions associées au positionnement du prix d’une offre ne sont pas à prendre à la légère.

Finalement, c’est une méthode qui permet d’évaluer les bénéfices économiques liés à une innovation ?

Sans prédire avec certitude les revenus qui seront générés par un nouveau produit ou service, nous sommes en mesure d’estimer sérieusement son potentiel de marché. Au-delà des aspects de revenu, cette méthode apporte des informations complémentaires non-négligeables voire même stratégiques. L’indice d’élasticité de la demande permet de situer le produit sur plusieurs aspects. Par exemple, un produit qui aurait une inélasticité parfaite, c’est-à-dire dont l’augmentation du prix n’aurait aucun impact sur les revenus totaux, aurait de fortes chances d’avoir peu de concurrence, aurait de fortes chances d’être perçu comme un produit nécessaire, pourrait être un symbole de l’attachement à la marque, aurait plus de chances de durer dans le temps. On peut conclure en affirmant qu’une telle étude permet d’une part aux entreprises de construire une stratégie d’innovation autour de problématiques économiques, d’autre part de positionner la maturité de leur offre pour déployer d’éventuelles actions commerciales en conséquence.

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